Qui a peur du méchant prof ?
Hier, après la classe, je suis rentrée profondément déprimée. J'ai fait quelque chose que je m'étais promis d'éviter : j'ai menacé mes élèves de les punir.
Je m'étais préparée à devenir une prof bienveillante. Ras-le-bol des heures de colle et des punitions ; je souhaite que mes élèves se comportent bien, c'est à dire que le volume sonore de la classe doit rester assez bas pour que je puisse être entendue sans parler excessivement fort. Lorsque je dois forcer, c'est que les bavardages sont trop nombreux, et je le fais remarquer à mes élèves. Je ne suis vraiment pas connue pour être un professeur permissif, mais en l'occurrence les"petits" bavardages ne me gênent pas. Je ne me souviens que trop vivement de leur importance.
Avant de reprendre, j'avais pris une grande décision : je voulais amener mes élèves à s'autoréguler, à adopter un comportement acceptable, non pas par peur de ma réaction mais parce qu'ils estimaient que c'était la bonne chose à faire. Je voulais faire appel à leur civisme plutôt qu'à leur peur.
J'ai donc lu ce livre très intéressant, qui montre les limites des punitions mais aussi des récompenses, et qui donnait des pistes pour les éviter :
Je suis arrivée en classe armée de patience, de fleurs de Bach et de jolis principes.
J'ai adressé aux élèves des "messages JE" : "Lorsque vous parlez entre vous, je ne peux pas travailler efficacement", "Lorsque vous arrivez en retard, je suis obligée de m'arrêter et cela coupe mon cours". Cela a étonnamment bien fonctionné ... Pour un temps ! Durant cinq ou dix minutes, j'avais la paix et j'en étais ravie. Puis, les bavardages reprenaient, et au bout d'un temps, je perdais patience, et mon joli "message JE" se transformait en "NON MAIS FAUT QUE JE VOUS LE DISE COMMENT, MINCE A LA FIN, VOUS NE POUVEZ PAS CONTROLER VOTRE BOUCHE CINQ MINUTES, C'EST POURTANT FACILE, POUR NE PAS PARLER IL SUFFIT DE GARDER SA BOUCHE FERMEE !"
Voilà, voilà ...
Je précise que dans mon refus de punition, je n'incluais pas les appels aux parents, les travaux de style lettre d'excuse ou les mesures de réparation ; je n'ai pas eu à y recourir, puisque je n'ai pas été confrontée à des situations qui le justifiaient. Appeler les parents d'un élève pour des bavardages me semble dans la plupart des cas un peu excessif. J'ai donc des élèves sympas, mais bavards, et aucun moyen entre le "message je" et l'appel à la maison.
Un autre problème a été mon arrivée en cours d'année. J'ai bousculé des habitudes déjà établies, et j'ai dû paraître faible ; d'autant qu'un élève de 3e m'a dit, parlant de la fessée : "si on l'interdit, comment les parents vont se faire respecter ?" - il y avait donc sans doute des attentes quant à mes réactions.
Enfin, les autres membres de l'équipe éducative punissent ; encore une fois, je suis ici l'original, et par conséquent, dans les yeux d'élèves à un âge où l'on est en recherche de repères, où l'on "trie" les informations, le maillon faible.
Hier, donc, j'étais fatiguée, lasse, je n'avais pas envie de crier, et j'ai eu recours à mon ancien système : j'ai informé mes élèves en début d'heure qu'au bout de trois remarques, ils devraient recopier un passage (assez long) du livre que nous étudions. En 6e, je suis allée jusqu'à écrire les noms au tableau, et à mettre une barre à côté à chaque remarque.
Personne n'a été puni dans deux classes, un seul dans la troisième, et il a ainsi tenu le rôle du bouc émissaire. J'ai eu droit à des cours calmes, mais les élèves participaient.
Et je n'ai pas crié.
Je me suis sentie frustrée : je n'avais pas su tenir mon objectif. Et pourtant, à choisir, qu'est-ce qui est plus humiliant : se faire crier dessus, ou voir son nom écrit sur un tableau ? Mes élèves, en tout cas, semblaient répondre favorablement à mon propre calme, puisqu'ils ont néanmoins été très actifs durant la séance.
Alors, la bienveillance, est-ce simplement ne pas punir ?
Est-ce que ma voix calme est le meilleur moyen de tenir les élèves ?
Est-ce mon calme ou la menace qui a fonctionné ?
Est-ce que cela a fonctionné parce que cela leur semblait nouveau ?
Est-ce qu'ils avaient ainsi davantage de repères ?
Je ne sais pas comment je ferai dorénavant ; je continuerai peut-être pendant un moment à appliquer ce système ; peut-être que je pourrai y renoncer progressivement. Peut-être est-il possible d'amener les élèves à s'autoréguler en leur montrant de façon visuelle leurs transgressions, par exemple au moyen de barres à côté de leur prénom ?
Je chercherai des réponses dans les semaines, les années sans doute, à venir.
Et toi, professeur confronté aux bavardages, comment réagis-tu ? Où se situe la limite pour toi ? Quelles mesures emploies-tu pour calmer les élèves, les ramener au travail ?