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Journal d'une agrégative
24 mai 2015

Fais pas genre ! La morphologie féminine et les métiers

Je suis féministe.

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Voilà, c'est dit. Je suis profondément pour l'égalité entre femmes et hommes, et entre hommes et femmes aussi.

Pourtant, mes poils se hérissent lorsque je lis certains néologismes féminins : "écrivaine", "professeure" ...  

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C'est un débat qui peut sembler anecdotique mais qui prend énormément de place dans mon quotidien. Alors, à la demande d'un ami, j'ai décidé de synthétiser mes pensées à ce sujet : tous les mots ne doivent pas être féminisés.

Dites que je suis réac', mais ces fantaisies orthographiques et grammaticales me donnent envie de dégainer mon stylo rouge. Evidemment, il faut féminiser TOUS les corps de métiers, comme il faudrait en masculiniser certains. Encore que je sois réticente face aux listes de vote paritaires - je vote pour une personne compétente, pas pour une personne portant un pénis ou un utérus. Mais là, je m'éloigne du sujet  : il ne sera ici question que de langue, et pourquoi il ne me semble pas gênant de m'adresser à une femme en disant "madame le procureur", et pourquoi je suis femme et aussi "professeur de lettres".

 

Des femmes qui sont des objets et des hommes qui (ne) sont personne(s)

 

Un livre offert à Zazie m'a ouvert les yeux : il s'agit d'un joli imagier plein d'humour, qui montre les différences entre mots masculins et mots féminins : une "marmotte" n'est pas l'équivalent féminin d'un "marmot", une "chevalière" n'est pas une femme "chevalier" ... Eh oui, le français est complexe. Et puis, j'ai regardé de plus près : les mots féminins, dans ce livre, désignent tous des animaux ou des objets ; les mots masculins, des hommes. C'est précisément l'injustice sémantique dénoncée par ce livre, et j'avoue en avoir été choquée, voire même partiellement convaincue. Encore que certains exemples aient été quelque peu malhonnêtes : ainsi, lorsqu'on me parle d'une jardinière, selon le contexte, je pense soit à un plat, soit à un pot de fleurs, soit à une femme-jardinier. Quant au chevalier, qui est quand même un combattant plutôt médiéval, je ne vois pas pourquoi on lui aurait attribué un féminin, puisque cela ne correspondait simplement pas à la réalité. Autant intenter un procès à cette langue latine qui ne prévoit pas de mot pour dire "téléphone" ou "ordinateur" ! (Najat, c'est donc pour ça ???? Ok, je m'éloigne encore du sujet.)  Cette réalité m'empêche donc d'être une "chevalière servante", mais pas de dormir.

 

De la gourmandise féminine et de la neutralité masculine

En parlant d'histoire, qui peut me rappeler d'où vient le français ? Oui, là-bas au fond, Joséphine, au lieu de parler avec sa voisine ? Voilà, du LATIN ! Avec quelques mots d'un peu partout, mais surtout du latin. Et quelle est LA grande différence entre le français et le latin ? (Je frémis à l'idée que dans quelques années plus personne ne saura répondre à cette question , Najat, s'il te plaît quoi !)  Le neutre ! Absolument ! En latin, il existe, comme en français, des mots masculins et des mots féminins, mais en plus, cette langue comporte un ensemble de mots neutres. Lorsque ce nouveau dialecte a émergé, le neutre a progressivement disparu. Il a été absorbé par le féminin et le masculin. Il me semble avoir entendu quelque part qu'ils seraient devenus majoritairement féminins parce que "les femmes sont gourmandes et ont mangé le neutre". Je n'en trouve pas de preuve, là maintenant tout de suite. En revanche, le masculin a absorbé la valeur non marquée du neutre : il est, selon le contexte, masculin, neutre, ou collectif. Qui n'a jamais entendu la règle de l'accord du pluriel au masculin formulée ainsi : "c'est le masculin qui l'emporte" ? Voire même - et là, c'est gênant : "c'est le garçon qui gagne" ? Ainsi, tout le monde sait que "Léon et Charlotte sont petits", et que "Roméo et Juliette sont amoureux". Dire que l'adjectif est au masculin est une erreur d'analyse - ou du moins, une analyse simplifiée. Puisqu'on ne s'est pas donné la peine d'inventer un accord à la fois féminin et masculin, et donc ni l'un ni l'autre, il a bien fallu que l'un des deux s'y colle. Bon, bah c'est tombé sur le masculin ! On a donc pris la forme masculine, on l'a vidée de ses attributs masculins (de ses sèmes, oui d'accord), et on y a fourré ... la neutralité. Pauvre masculin, vidé de son sens premier ... Soudain, le sexisme prend un nouveau sens : les représentants de la gente masculine, enragés d'être ainsi privé de leurs couilles grammaticales, se sont vengés sur celles qui gardaient leurs attributs féminins intacts ! Non, sérieusement. L'Académie française formule ça quand même vachement mieux que moi :

« En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification, permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de l’accord des adjectifs, la variété des constructions nominales... Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibéré dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. » (Va donc voir par là !)

Alors, un ramassis de gros machos, les messieurs de l'Académie ? C'est vrai que la parité ne les étouffe pas, mais Simone Veil, par exemple, ne me semble être ni un homme sexiste, ni une femme opprimée.

 

Des mots qui ont une histoire

Voici que l'on me donne à lire un article de Marie Darieussecq dans Libé (si ça t'intéresse, clique donc par ici !). Elle explique que l'état des choses est tout simplement scandaleux, qu'il faut dire écrivaine, auteure, et qu'il y a toujours eu des noms de métier au féminin. Même au Moyen Age. Bim ! Prends ça, l'Académie Française ! L'histoire de l'accord au pseudo-masculin, c'est une règle plutôt arbitraire du XVIIème siècle, puisque les accords de proximité étaient tolérés avant, c'est à dire des accords avec le mot le plus proche, comme en témoigne le vers de Racine : "Ces trois jours et ces trois nuits entières". Bon, c'est vrai - il n'empêche que ça fait bizarre de dire "Léon et Charlotte sont petite", non ? Notre langue a perdu en souplesse et gagné en règles de grammaire. Le coup de l'accord au masculin a l'avantage d'être simple et sans exception, quand même ! Alors, revenons-en aux noms de métier : on trouverait au Moyen Age des "brasseuses", des "mairesses", des "maréchales". Bien. Je ne vois pas trop le problème : je connais des "techniciennes", des "ouvrières", des "couturières", des "cuisinières", des "bloggeuses", des "maîtresses", des "banquières". Je continue ? Des "mairesses" je n'en connais pas, c'est vrai. Des "maires" oui ; mais ici, comme pour "ministre", le e final permet de classer le mot au choix dans la catégorie des masculins ou dans celle des féminins. Quant aux mots en -eure, puisque Madame Darieussecq s'en réfère à l'histoire des mots et à leur évolution, je cite encore une fois l'académie française : "les seuls féminins français en -eure (prieure, supérieure...) sont ceux qui proviennent de comparatifs latins en -or."  En termes plus simples : t'étais pas un comparatif en -or, tu t'écris pas -eure ! Et puis si on avait gardé toutes les formes du français médiéval, on en serait encore à employer indiféremment "penser", "panser" et "peser" - bien sûr, il est intéressant de savoir que ces trois mots ont un ancêtre commun, mais il ont quand même connu une évolution différente ! 

 

Des mots qui sont un peu jolis

Bon, cet argument-là ne va pas convaincre tout le monde, je m'en doute. Mais lorsque je lis "procureuse", "auteure", autrice", cela me choque. Je ne trouve pas ça beau. Que dire d'"écrivaine" ! Je n'en retiens que la dernière syllabe, qui se trouve être la syllabe accentuée en français : "vaine" ... Tu parles d'une avancée féministe ... Et je me rends compte que ce jugement là est tout à fait personnel mais je trouve que dire "la prof", c'est tout à fait bien ; "la professeur", c'est bizarre" ; "madame le professeur", ça a d'la gueule. Pourquoi ? Parce que le masculin donne plus de tenue, qu'il est employé avec davantage de respect ? Non : parce qu'il me place à distance de moi-même. Un privilège réservé aux femmes, donc !

 

De la revendication inégalitaire de l'égalité

Je le disais tout à l'heure, je suis pour l'égalité entre les hommes et les femmes (et même ceux entre les deux !). Or, l'égalité, cela va dans les deux sens. Je trouve à pleurer qu'il soit  généralement plus facile, aujourd'hui, pour une fille, de devenir mécanicienne (pas facile au quotidien peut-être, mais il lui reste la carte du sexisme qui peut l'aider) que pour un garçon de devenir éducateur de jeunes enfants - selon le milieu social, le regard de ses copains sera insoutenable. C'est déplorable et c'est humiliant pour les filles et c'est inégalitaire pour les garçons. Bon. Mais, mesdames qui revendiquez le féminin de tous les noms de métiers, pourquoi ne revendiquez-vous pas que l'on dise "sage-homme" ? Pourquoi n'exigez-vous pas que l'on dise "UN victime" ? Pourquoi n'inventez-vous pas un masculin pour "connaissance", et tant qu'on y est, pour "personne" ?

 

Un mot est un mot est un mot est un mot ...

 

Les mots ont un sens, c'est entendu ; on les choisit à dessein. Il ne faut cependant pas confondre le mot, le signifiant, et son référent dans le monde réel. Le mot "boulangère" ne me vend pas ma baguette ; la femme boulangère, oui. Ce n'est donc pas parce que l'on admet dans le dictionnaire la forme "procureure" qu'il y aura davantage de femmes à exercer ce métier. Alors je m'interroge : si demain, on changeait ces règles jugées sexistes, on trouverait sans doute cette avancée admirable : quel beau combat de gagné. Une collègue m'a dit, l'autre jour : un os à ronger pour les féministes. Pendant ce temps-là, oublions donc les viols, les violences. Oublions que le droit à l'avortement est en danger. Oublions que l'immense majorité des femmes n'est pas suffisamment renseignée sur les moyens de contraception qui s'offrent à elles. Oublions l'inégalité des salaires à travail égal ! Oublions la précarité qui touche les mères isolées ! Ils sont là, les véritables enjeux ! Et s'il faut bien des mots pour les faire valoir, qu'importe s'ils sont prononcés par un orateur, une orateuse, une oratrice ? Ne serait-il pas temps, enfin, de considérer les personnes comme telles ? De considérer que quelqu'un est compétent, qu'il a de bonnes idées (il est ici un pronom neutre), peu importe s'il fait pipi debout ou assis, peu importe s'il a un pénis ou un vagin, peu importe s'il a besoin d'une protection périodique ou s'il se préoccupe de l'éradication des poils de son visage ou de ses jambes !


Je suis professeur. Si tu veux dire que tu es professeure, je ne t'en empêche pas, à la rigueur. Ou à la rigueure.  Je ne te dirai pas que je trouve ça un peu étrange. Mais je te dirai certainement que je trouve bizarre que tu préfères t'attacher à inventer des néologismes dont la langue française n'a pas besoin, plutôt qu'à changer en profondeur une société qui est persuadée de ne plus avoir besoin de féminisme car les injustices y sont autrement plus incrustées que dans le dictionnaire.

genre

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Commentaires
Journal d'une agrégative
  • Après 5 années, je peux enfin me présenter à l'agrégation interne. C'est parti pour quelques mois de lecture intense, de dissertations, de didactique ... Tout ça avec deux enfants à la maison. google3c5a1e83a6320d52.html Même pas peur.
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